La fin d’un mythe
Faut-il vraiment éviter de boire ou manger pendant l’accouchement ?
Lorsqu’il y a un protocole, des recommandations voire des restrictions imposées aux femmes qui enfantent, ça me questionne, toujours. Je suis cérébrale, j’ai besoin de comprendre. Il ne s’agit pas de savoir qui a tord ou raison. Mais je ressens ce besoin d’élargir mes connaissances sur le sujet, avant de les partager avec les femmes et les familles que j’accompagne. C’est une affaire d’éthique professionnelle et personnelle. Surtout quand mon corps et mon coeur me crient qu’il y a un truc qui cloche dans l’histoire.
Nous voilà donc ici pour aborder le mythe laaaaargement répandu : « Il ne faut ni manger ni boire pendant l’accouchement« . Ce mythe est encore trop souvent la norme dans les maternités. Et la possibilité de se nourrir et de s’hydrater librement pendant l’accouchement dépend souvent du bon vouloir de l’équipe médicale présente.
Ce n’est aujourd’hui plus acceptable et vous allez comprendre pourquoi.
Prenez vous une infusion et un truc à grignoter : c’est parti !
Pourquoi on nous empêche de manger & boire pendant l’accouchement ?
Si on empêche encore aujourd’hui une femme en travail de boire et manger pendant le travail c’est pour éviter le risque de fausse route. C’est-à-dire éviter le reflux de l’estomac (vomi) vers les poumons. Ce risque se présenterait si jamais elle devait partir en anesthésie générale (AG), pour une césarienne d’urgence par exemple.
Commençons d’ailleurs par rappeler que seulement 1% des césariennes se passent sous AG.
On parle donc ici du syndrome de Mendelson qui est défini comme : « une pneumopathie causée par le passage accidentel du contenu gastrique dans la trachée et les bronches, notamment au moment de l’induction d’une anesthésie générale, voire locorégionale, au décours d’une anesthésie générale ou pendant un coma profond. » Cela s’applique pour toute anesthésie, programmée ou non, pendant un accouchement ou toute autre intervention chirurgicale.
C’est donc la faute à Mendelson ?
Un peu oui.
Alors je ne parle pas de Felix Mendelssohn, le compositeur allemand du 19ème à qui l’on doit entre autres la Marche Nuptiale. Je fais référence ici à Curtis Lester Mendelson, obstétricien et cardiologue américain qui publia, en 1946, un article qui encore aujourd’hui est une référence internationale. Il y fait état de 66 femmes ayant ingéré du flux gastrique (reflux, vomi) par les voies respiratoires pendant une anesthésie générale au cours de leur accouchement. Il expose également les différentes conséquences pathologiques d’un tel phénomène. Cet article visait à comprendre les causes et promouvoir des mesures préventives au problème pour de futures parturientes.
Le hic avec cette « étude »
1 – ce n’en est pas une !
Je vous passe le détail sur les critères qui font qu’une étude scientifique est qualifiée comme telle. Mais là gardons en mémoire que c’est juste un article. Un article écrit suite à une observation clinique dans un seul et même hôpital entre 1939 et 1942 et par celui-là même qui a écrit cet article (et a pu briller devant ses confrères de l’époque par la même occasion).
2- ces fameuses 66 fausses routes ne représentaient dès lors que 0,15% des femmes en couche observées (on est d’accord que 0,15% c’est peu, non ?)
3 – de ces 66 femmes en question seulement 2 sont décédées ! Soit 0,0045% des parturientes observées. Les 64 autres femmes se sont complètement remises de cet accident en 3 jours maximum et sans antibiotiques. A posteriori, on concède que cette fausse route peut entraîner une forme d’asthme sur le long terme.
4 – A cette époque il n’y a pas que les femmes en césarienne qui accouchaient sous anesthésie générale. D’ailleurs, dans le cas de Mendelson, seulement 21% des femmes qui ont aspiré du flux gastrique étaient sous anesthésie générale pour césarienne. Les 79% autres accouchaient en voie vaginale – souvent instrumentalisée aux forceps. #VGObonjour
5- à cette époque encore, et comme décrit dans l’article de Mendelson, l’anesthésie était un « mélange de gaz, d’oxygène et d’éther ». Ce dernier est aujourd’hui interdit aussi bien en France qu’aux US. Et cela notamment à cause de sa toxicité et de ses nombreux/dangereux effets secondaires, notamment sur les voies respiratoires. Les anesthésies étaient également plus longues et dosées approximativement.
Ma question est simple : comment est-ce possible ?
Comment une si faible incidence, issue d’observations d’un autre temps de la médecine, a-t-elle pu faire l’objet d’un consensus médical international jusqu’à aujourd’hui ?
Comment peut-on encore se baser sur de telles observations et ignorer presqu’un siècle de progrès et d’avancées médicales et scientifiques ?
Pourquoi personne ne tire la sonnette d’alarme pour prévenir d’une telle inesptie ? (mot compte triple) ?
Un accouchement demande un effort intense et soutenu à la femme. La dépense énergétique est énorme pendant le travail (entre 2000 et 3000 kcal) équivalente à celle d’un.e marathonien.ne. D’autant que la grossesse qui a précédé a déjà demandé des ressources extraordinaires à l’organisme, à la limite de ce qui est humainement possible.
Tout ceci est vraiment incensé.
Mais regardons les chiffres actuels pour voir ce qu’il en est réellement aujourd’hui.
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Dans les faits, en France
En 2009, une enquête Sfar–Inserm sur la mortalité totalement ou partiellement liée à l’anesthésie générale (AG) fait état d’1 décès pour 221 368 AG en France en 1999.
1 décès sur 5 serait attribué au syndrôme de Mendelson (majoritairement en situation d’urgence, chez des personnes âgées ou dans un état clinique grave)
Aucun décès n’a été rapporté pour cause obstétricale.
> Dans les résultats de l’ENCMM de 2010-2012, il est rappelé que :
- l’AG n’est responsable que de 5 décès de femmes pendant leur accouchement (sur une période de 3 ans) ce qui représente 2% de la mortalité maternelle
- sur ces 5 décès, un seul est potentiellement lié à ce syndrome de Mendelson
Ce qui représente donc 1 chance sur 1 500 0000 de mourir d’étouffement pendant une anesthésie en césarienne. Les chiffres sont d’ailleurs les mêmes aux USA.
> Dans les résultats de l’ENCMM 2013-2015 mis à jour en 2021, il est fait état de 4 décès maternels suite à une anesthésie, locale ou générale, sur cette période de 3 ans. Le syndrome de Mendelson n’est jamais évoqué.
Alors pourquoi ça n’évolue pas dans les pratiques médicales ?
Aucune idée.
Honnêtement, je suis preneuse de tout complément d’infos, études, méta-analyses sur le sujet si vous en avez à disposition. Je suis également prête à échanger avec des anesthésistes en périnat sur le sujet. Enfin, comptez sur moi pour m’excuser platement et publiquement si je suis ici à côté de la plaque.
C’est juste fou (et triste).
En 2016 trois gynéco obstétriciens américains ont publié dans le American Journal of Obstetrics & Gynecology un article visant justement à revoir des pratiques parfaitement obsolètes étant données les avancées et progrès considérables en termes d’anesthésies. Parce qu’il n’y a aucune donnée probante à ce jour justifiant la restriction dans la prise d’aliments liquides ET solides pendant l’accouchement. Enfin ils ajoutent que « des mesures qualitatives telles que la satisfaction des patientes devraient être primordiales« . Plutôt que des restrictions qui « peuvent contribuer à la peur et aux sentiments d’intimidation chez les parturientes« .
The American College of Nurse Midwives, World Health Organization, le National Institute for Health and Care Excellence guidelines in the United Kingdom, and the Society of Obstetricians and Gynecologists guidelines in Canada recommandent également de laisser le choix aux femmes.
En conclusion
Il n’y a AUCUNE justification à empêcher une femme en train d’accoucher de s’hydrater et de s’alimenter pendant le travail. Et vous pouvez imprimer cet article et le glisser dans votre sac de maternité si besoin. Il est grand temps qu’on ouvre le débat et qu’on respecte vos besoins ! Soutenir l’effort intense fourni par votre corps pendant l’accouchement est essentiel. Faites simple et mangez digeste mais surtout faites comme vous le sentez.
Et maintenant que votre mental est nourri de ces infos, je vous laisse ressentir ce qui est bon pour votre corps et juste pour votre coeur.
Et rappelez-vous : vous avez toujours le choix 😉
Love, now & always,
Sophie
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